WU ZHEN

WU ZHEN
WU ZHEN

Pour pacifier et réunifier la Chine, plus de soixante-dix ans de guerre auront été nécessaires à Gengis-khan et à ses héritiers. Trois quarts de siècle de désordres et de destructions mettaient le pays au bord de la ruine. Seules structures encore solides, les Églises bouddhique et taoïste accueillirent alors des milliers de Chinois. Entrer dans les ordres constituait souvent l’unique échappatoire à l’esclavage ou au massacre par les troupes mongoles.

Dans le désastre politique et l’anéantissement des institutions, la remise en question des valeurs traditionnelles ne pouvait qu’être profonde. L’idéal Song du peintre-lettré, fonctionnaire de l’État et amateur d’art, volait en éclats. Les artistes chinois formés pour le service public se trouvaient pour la première fois marginalisés: le régime de discrimination ethnique institué par les Mongols et leur profonde défiance envers les Chinois du Sud qui se soumirent les derniers interdisaient pratiquement à ceux-ci l’entrée dans la carrière bureaucratique. Le système des examens avait d’ailleurs été supprimé, corruption et népotisme régnaient dans l’administration. Dans ces circonstances, les lettrés n’avaient en général d’autre choix que de quitter la vie publique et les auteurs postérieurs les appelèrent lettrés-retirés. Nombre d’entre eux se réfugièrent dans les professions de médecin ou de devin, proches du taoïsme; ainsi Wu Zhen qui vécut du métier d’astrologue.

Le Taoïste des fleurs de prunier

Wu Zhen, dont le prénom officiel fut Zhonggui et le surnom Meihua Daoren («le Taoïste des fleurs de prunier»), naquit à Weitang, près de Jiaxing, riche cité à mi-distance de Suzhou et de Hangzhou. Les mentions de Wu Zhen dans les sources des XIVe et XVe siècles sont fort rares. Quelques documents échelonnés à partir de la fin du XVIe siècle, souvent œuvres de lettrés de la région de Jiaxing, auxquels s’ajoutent de brèves notices dans des monographies locales et un recueil littéraire du maître compilé au XVIIe siècle (Meidaoren yimo ), sont impuissants à retracer le déroulement de la vie de Wu Zhen. Au travers de ces matériaux s’esquisse toutefois la personnalité du peintre, homme solitaire qui ne quitta pratiquement pas son lieu d’origine et dont les rares déplacements n’excédèrent pas, semble-t-il, un rayon de cent kilomètres. Deux inscriptions apposées par le maître lui-même sur des peintures inventoriées dans des catalogues de la fin de l’époque Ming soulignent la précocité de sa vocation de peintre. Dans la première, datée de 1345, il déclare peindre depuis cinquante ans, et il avoue, en écho, dans la seconde, une passion démesurée pour la peinture datant de sa prime jeunesse. L’apprentissage de Wu Zhen se situe donc dans les dernières années du XIIIe siècle. Au même moment, Zhao Mengfu, de retour à Wuxing avec une riche collection de peintures anciennes, expérimente de nouvelles formules de paysage, tandis que Gao Kegong (1240-1310) et Li Kan (1245-1310), peintres du Nord installés à Hangzhou, y raniment le style de Mi Fu (1051-1107) et la peinture de bambous. Wu Zhen ne put ignorer ces expériences puisque, d’après la tradition, il vécut à Hangzhou autour de 1317 en y pratiquant la divination. Les Deux Pins (Gugong, Taipei), peinture datée de 1328, porte une dédicace de Wu Zhen au «vénérable maître Leisuo», identifié au taoïste Zhang Shanyuan, supérieur du monastère Xuanmiao à Suzhou. Cette inscription comme le surnom de Wu Zhen et sa pratique de la divination constituent autant d’indices de l’adhésion du maître au taoïsme.

Demeurant à proximité des plus grands centres culturels du temps (Wuxing, Songjiang, Suzhou), Wu Zhen en connut les développements artistiques. Il vécut toutefois écarté des cénacles intellectuels et ne participa pas aux grandes réunions littéraires où se retrouvaient les lettrés et les artistes de la région. Il peignit cependant pour le célèbre lettré Tao Zongyi, qui mentionne dans son recueil de miscellanées (Chuogeng lu ) une peinture de son pavillon d’étude exécutée par Wu Zhen. En outre, un colophon à une œuvre perdue, relevé dans un catalogue du XVIIIe siècle, nous apprend que Wu Zhen exécuta pour Wang Guoqi, collectionneur et père du peintre Wang Meng, un album de douze paysages. Si l’art de Wu Zhen fut manifestement connu et apprécié de son vivant, le maître ne s’employait guère à le promouvoir: il ne quittait pas sa retraite et, ainsi qu’il l’avoue dans son colophon, il ne fallut pas moins de trois ans et les instances réitérées de Wang Guoqi pour qu’il exécutât les peintures commandées.

Le peintre de paysage

La peinture des Cinq Dynasties (907-960) et des Song du Nord (960-1127) eut, à travers les styles Dong-Ju et Li-Guo, une influence essentielle sur le renouvellement et la synthèse artistique de la période Yuan. Loin de pratiquer exclusivement l’un ou l’autre style comme on l’a cru souvent, les artistes Yuan eurent recours aux motifs hérités de différents styles anciens pour élaborer leur vocabulaire personnel. Ainsi, Les Deux Pins (Gugong, Taipei), la plus ancienne peinture datée de Wu Zhen (1328), marie le motif des grands arbres noueux, typique de l’école Li-Guo, avec un traitement de l’espace, des surfaces et des végétations lointaines apparenté au style Dong-Ju. C’est surtout la seconde école qui influencera les conceptions spatiales et la touche de Wu Zhen, lui-même copiste de Juran (Aurore printanière sur le fleuve pur et Montagnes d’automne , Gugong, Taipei). De ce style du paysage méridional Wu Zhen retient le traitement des surfaces en souples «rides en fibre de chanvre», les rocs arrondis massés dans les anfractuosités de la montagne, les rangées d’arbres exécutés de deux traits d’encre enserrant une fine ligne laissée neutre et dont le feuillage de points sombres se répartit de chaque côté de ce tronc clair. Mais chez Wu Zhen les effets sont grossis, les contrastes accentués, conférant aux éléments empruntés à l’art des Xe et XIe siècles une intensité expressive nouvelle. Montagne entre les montagnes (1336), rouleau horizontal conservé à Taipei, en constitue un exemple remarquable. Dans d’autres paysages, Wu Zhen adopte le mode de composition typiquement Yuan de la «distance en extension» (kuoyuan ): un premier plan de terrain plat sur lequel poussent quelques arbres, une vaste étendue d’eau intermédiaire et des sommets peu élevés fermant l’espace en haut de la composition (Ermite pêcheur sur le lac Dongting , 1341 et Pêcheur , 1342, Taipei).

Le style de Wu Zhen évolue vers une touche de plus en plus libre et elliptique en des variations de motifs élémentaires: une falaise surplombant un pêcheur dans sa barque (Pêcheur , coll. Crawford, New York), un pavillon aux lettrés entouré de quelques arbres (Poésie dans un pavillon couvert de chaume , 1347, musée de Cleveland). Ces compositions très simples vont influencer profondément Shen Zhou (1427-1509) et l’école de Wu à ses débuts.

Les bambous à l’encre

La peinture de bambous créée au XIe siècle par Wen Tong et Su Shi connaît un extraordinaire renouveau à la fin du XIIIe siècle, dans le milieu des lettrés-retirés. Le bambou symbolise le lettré chinois pliant dans l’adversité sans toutefois sacrifier ses idéaux et son intégrité. Ce symbolisme traduit bien les préoccupations des lettrés sous l’occupation mongole tandis que la technique très calligraphique des bambous à l’encre correspond à la vogue des «jeux d’encre».

Après les compositions de Bambous et rocs de Zhao Mengfu, Li Kan et leurs disciples immédiats, le genre se réduit à son expression la plus simple et la plus essentielle: une branche unique jaillie du néant du papier. Cette évolution est illustrée avec éclat par Wu Zhen dans son Manuel de bambous à l’encre conservé au musée de Taipei et dans le magnifique Bambou dans le vent de la Freer Gallery à Washington. Dans cette peinture, Wu Zhen joue avec subtilité des relations profondes entre calligraphie et peinture de bambous – en associant directement le jaillissement de la branche et la longue calligraphie verticale – et de l’ambiguïté spatiale qui résulte de la confrontation d’une branche tridimensionnelle et de l’écriture à deux dimensions.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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